« Chapitre 2«

Jack saute de la scène pour rendre le micro à Paul, sous les applaudissements de ses camarades. Quelque peu ému, il retourne s’affaler dans le réconfort de son fauteuil. Ce n’est pas tant la couleur ou la texture qui en font un repose séants extraordinaire, mais sa générosité, sa capacité à vous enlacer. Tout en caressant les accoudoirs, Jack, se dit que, finalement : il aime bien venir à ces séances.
D’habitude, il ne partage que quelques phrases avec le groupe et uniquement parce que l’une des règles lui impose d’intervenir et de partager : s’il veut participer aux séances. Lui, préfèrerait rester là, à écouter, et nourrir son cerveau des expériences partagées. Mais la séance d‘aujourd’hui le rend léger, il se dit que s’il partage un peu plus, lui aussi, la prochaine fois, peut-être que ça prolongera cette sensation de « bien-être ». Ça faisait vraiment très très très longtemps qu’il n’avait pas ressenti cette chaleur à l’intérieur ; ce petit feu qui fait du bien. D’ailleurs, en y réfléchissant, il ne se souvient plus depuis quand, il a froid. Il s’est toujours senti comme « La petite fille aux allumettes » ; est-ce l’une des hallucinations du conte qui le gagne ? Jack n’écoute plus vraiment, il se questionne, sonde son âme, son corps.
Quelques témoignages plus tard, il est convenu que la prochaine séance serait dédiée au partage d’expériences sur le thème du jour remodelé par les exemples donnés par Jack. Chacun se lève pour se diriger soit aux commodités, situées hors-scène ; soit en direction de la desserte de viennoiseries, petits biscuits, fruits coupés, thés, cafés, et chocolats chauds, qui apparait discrètement à la fin de chaque séance.
Qui aurait cru ? que ce théâtre servirait aujourd’hui à d’autres scènes, que celles des illustres qu’il a vu passer dans son ventre. Sa restauration fut l’occasion pour le groupe de parole d’investir ces lieux, mis à disposition par la mairie, faute de pouvoir les faire fructifier pendant la période de travaux. Quand bien même, ces derniers étaient parfois proches, parfois plus éloignés, durant les séances : ils semblaient ne pas appartenir aux temps de parole. Le groupe s’épanouissait sur ces démembrements.
Joe prend deux croissants et s’approche de Jack.
« Je t’en propose un ? Tu n’as rien grignoté.
— Tu me surveilles ?
— Non, grand Dieu ! Mais entre amis, on se soigne. Et ne boire que du café sans jamais rien avaler : c’est triste.
— hum…hum… qui parle de nourrir sa bedaine ? demande Sophie en s’approchant.
— OK, ok, dit Joe, mais je ne vais pas la laisser crever de faim tout de même ?!
Joe éclate de rire et la bonne humeur gagne les trois amis.
— Dis-moi, qu’est-ce qui a déclenché cette furie », pique Sophie en rigolant.
Jack la fixe avec ses yeux rieurs, avant de poursuivre d’un ton plus sérieux.
« Pour être franc, ma boîte va mal ; alors j’ai commencé à regarder ailleurs.
— Il n’y a pas de mal à ça, commente Joe.
— Le truc, c’est que j’ai coché la case « déclare détenir une RQTH » sur l’un des sites où je me suis inscrit. Maintenant, c’est à croire que tous les RH du monde dialoguent entre eux : car, quelles qu’en soient les applications que j’ai envoyées, j’ai, grosso modo, deux retours systématiques et persistants : soit, ils me veulent, parce que j’ai une RQTH ; soit, j’essuie un refus, parce que j’ai une RQTH. Alors que je ne l’ai cochée qu’une fois et sur un seul site ; et uniquement, parce qu’il était précisé que le poste était ouvert aux RQTH ; pas qu’ils allaient le crier sur tous les toits !
— Mais comment est-ce possible ? demande Sophie, c’est bizarre, non ?
— Bizarre ou pas pour continuer dans la franchise : je m’en contrefous ! Ce que je ne comprends pas c’est : pourquoi ? Pourquoi, ils focalisent sur ces quatre lettres, s’insurge Jack.
— Moi, tu sais. Je passe de CDI en CDI, comme si j’enchaînais des CDD, alors si on me prend parce que j’ai une RQTH : ça me va, commente Joe.
— Tout de même, ajoute Sophie, je ne comprends pas que nous devions en parler aussi ouvertement lors d’un entretien d’embauche. Je pensais que la règle de savoir-vivre laissant à l’employé le choix de communiquer ou non sur cette reconnaissance était toujours en vigueur.
— Heureusement, cela ne concerne pas toutes les entreprises, tempère Jack, mais je dois dire que j’ai été vraiment surpris du nombre de fois où le sujet est tombé sur la table pendant mes visio avec des recruteurs de tous horizons. Ça m’a profondément choqué. Par contre, je dois vous quitter, mes amis : j’ai du boulot à abattre ! Ciao ».
Jack ajuste sa parka, son traveler, puis baisse la tête en franchissant les portes battantes du hall : afin que son chapeau ne prenne place dans la danse de feuilles mortes que rythmait la brise extérieure. Gardant son chef en direction du sol, il réfléchit à cette séance, à ses échanges avec ses amis, à ses conflits intérieurs ; sans même apercevoir André, lui faisant signe de l’autre côté de la place.
à suivre…
Extrait de la nouvelle « Jack le Hd »
« Chapitre 2, par S2B.


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