« Chapitre 3 : l’équipée sauvage »

Dans notre hameau d’inconcevables Gaulois, nous ne trouverons aucun ménestrel (à ma connaissance) ; et il ne s’y mange pas de sangliers rôtis, moins encore accompagnés d’une mystérieuse sauce verte !
Mais loin des géants, les banquets sont habituels, et toute excuse est bonne pour un festin entre amis.
La vie de nos amis à quatre pattes suit un cycle bien défini : travail des champs, de la traite, de la laine, du cannage, entretien du matériel, les matins ; bon repas les midis ; puis sieste à l’ombre des frênes, les après-midis ; et enfin délicieux commérages en soirées.
Tarton erre l’âme en peine ce matin : personne à chahuter ; d’ailleurs, il y a ce fichu circaète qui vole au-dessus de ses champs préférés, c’est-à-dire ceux qui se trouvent derrière l’enclos des Bernardins.
De fait, il doit trainer au village, mais tout le monde vaque à ses occupations, jusqu’à ce que sonne la cloche de l’église, indiquant que la sieste peut commencer. Or Tarton, lui, n’a pas d’occupation : pas de travail ; pas d’envie d’aider les autres ; ni de faire quoi que ce soit d’autre que de s’amuser aux dépens de ses amis.
Il est le roi de la mauvaise blague ; mais quand il n’y a personne à embêter, et que l’on ne peut même pas aller se prélasser sur ses pierres plates favorites dans son lieu préféré… quelle misère ! Tarton se sent seul et triste…
Alors, il se traine jusqu’au vieux mur, bordant la grotte de la vierge ; puis se glisse entre deux roches, baignées par la chaleur du soleil. Ensuite, pour Tarton, de l’indolence à la dormance, il n’y a qu’un pas.
Tarton était né d’une couvée de six œufs de pythons royaux.
Sa chère mère était de couleur noire, et son père mordoré à souhait. Tous deux arboraient fièrement des ocelles marron clair sur leurs flancs, symbole de leur descendance « disssrecte » du clan des grands guerriers protecteurs de la reine « Cléospastrasss » et paillette (une mignonne petite souris intérimaire, sans importance dans l’histoire).
Malheureusement, la couvée fut visitée par une martre, en l’absence des parents ; laquelle n’avait épargné qu’un seul, et unique œuf. Cela étant dû, uniquement au fait, qu’un renard passant par-là, ait décidé de la prendre en chasse, lorsqu’il l’aperçut aussi savoureusement attablée. Mais quel renard, passerait-il à côté d’une bonne martre bien grasse, fourrée aux œufs frais, sans lui faire l’honneur de la croquer ?! ça ne se fait pas…
Or, le même jour, le père de Tarton, rentrant de la chasse, fut enlevé par un aigle de Bonelli : opportuniste ayant perdu de vue la martre qu’il traquait pour son repas.
Ainsi, la mère de Tarton éleva son unique enfant, seule. Du moins, quelques semaines, avant de se faire piétiner par une horde de brocards et de marcassins : faisant la course entre l’enclos des Jeannotbins et des Bernardiers ; de laquelle l’itinéraire défini traversait le champ où vivait la famille ; et dont un stand de dégustations de « boissons régionales » fut établi, à grand renfort de bassines, juste au bout du champ en question. Il va sans dire que nos coureurs « assoiffés » n’ont fait aucun cas d’une brindille au milieu de leur coulée…
Tarton se retrouva donc seul, bien jeune ; heureusement cela ne dura que peu de temps !
À soixante-deux après-midis de là, Noirot rencontra Tarton, affairé à terrifier un criquet, qui avait perdu un soulier, au pied d’un pigeonnier : le pressant de signer un traité contre son grès, mais assurément pour son bien. Ceci n’avait ni queue ni tête pour Noirot, néanmoins, sa bonne âme sentit en Tarton un besoin d’amitié.
Quelques minutes plus tard, nos deux jeunes amis, assis sur une vieille souche devant une bergerie, en étaient déjà à se conter l’histoire de leur courte vie.
Noirot était né dans cette même bergerie : sa mère étant sauvage, elle s’y était réfugiée pour se mettre à l’abris. Il venait d’une portée de quatre chatons viables. Quelques semaines après leur naissance, leur mère fut emportée par un renard, qui pistait une poule rousse, dont il ne retrouvait plus le logis. Elle disparut donc, sans laisser de trace, alors qu’ils n’avaient qu’un mois à peine.
De malheur en malheur, les chatons s’absentèrent pour cause de malnutrition, de maladie, ou d’empoisonnement dans les mois qui s’en suivirent.
Âgé de trois petits mois, Noirot s’était retrouvé seul à son tour ; or, c’est en fouillant les poubelles qu’il entendit les lamentations d’un criquet apeuré.
Noirot et Tarton décidèrent de s’entraider et de vivre ensemble.
La bergerie fut leur logis ; ils apprirent à vivre avec les brebis, les uns prenant soin des autres ; et à chasser, tant pour se nourrir, que pour protéger le troupeau.
Bien vite ils durent se répartir les tâches du quotidien ; ce qui fut vite fait : car, Tarton n’aimait ni chasser, ni cuisiner, ni faire la vaisselle, ni vider les détritus, ni faire… quoi que ce soit, en fait. Par conséquent, Noirot s’occupa du gîte et du couvert..
Et, c’est ainsi que naquit le premier métier de Noirot : gardien de bergerie !
Un après-midi tranquille, plein de « tssshhhatsss » et de ronronnements sur l’un des bancs de la place du hameau : nos deux compères furent réveillés en sursaut par des bruits de sabots tambourinant en tous sens.
Lucette, ancienne majorette de son état, menait le troupeau de la bergerie du Grand Nord vers les prés du Nord-Ouest ; quand elle aperçut un loup sanguinaire dans l’allée de buis, au moment même, où le troupeau entamait son virage au pas cadencé de son ainée. Lucette gyra sur ses gambettes vers l’aval de la route, précipitant le troupeau entier à sa suite ; tout droit vers le centre du hameau, en criant à tue-tête :
_ au loup ! au louOUOUOUOUp !!!
C’est à ce moment-là que Noirot et Tarton, juchés sur leur banc, virent fondre vers eux une horde sauvage de quatre-cents têtes de brebis apeurées !
Acculée devant l’église, la horde se divisa, l’encerclant de deux grands bras cotonneux. Dès lors, les mérinos ne surent plus, où, donner de l’encolure : vers les potagers à leur gauche, au risque de se retrouver dans un cul-de-sac ? dans les bras du géant sur sa croix, mais une poule rousse semblait avoir investi la place ? dans les prés au bout de la place, mais d’autres loups ne s’y cachaient-ils pas ? tout droit vers l’enclos des Bernardiers, malgré la distance ? à droite, se percher sur les poubelles, mais si un agneau tombait dans un urinoir ?!?
C’est ainsi que nous vîmes des brebis pratiquer la position du « namaskara » devant l’enclos de la vierge ; et qui ne se souciaient plus guère des orties leur chatouillant le ventre !
Sur ce, au centre de cette horde sauvage, au profil de mollusque improbable dans ces contrées, vint se créer un nouveau bras : le bras du centre !
Lequel semblait guidé pas notre chère Lucette, et se dirigeait tout droit vers les bancs situés au centre de la place du hameau.
Mais la vigilance d’un valeureux chien de troupeau, nommé Henri, qui rabattait les brebis égarées, afin de donner à minima un peu de décence à ce brouhaha (vestige de son caractère british) : décela immédiatement le danger !
_ Jeanballe ! Le troupeau a formé le bras du centre : deux petits sont en danger !
_ Je fonce !
Jeanballe, qui avait couru ventre à terre, depuis la bergerie du Grand Nord, pour barrer la route au troupeau enragé, venait tout juste de se poster devant la bergerie des Bernardiers, entre la vieille souche et l’enclos de ces derniers. Dans un mouvement plein de noblesse et de convictions, il abaissa ses cornes majestueuses ; puis chargea en direction du centre : écartant de son bouclier, reluisant de kératine, les âmes égarées, dans une mécanique routine.
Au même instant, faisant face à Noirot tout penaud : Lucette aperçut un prince monté sur un noble destrier, accompagné de son fidèle tartarin.
Elle freina des quatre fers, dont elle était dépourvue ; et perdant la notion de sa course, fit des œillades à Noirot, puis se pâma jusqu’à tomber mollement dans les diablotins, une bonne douzaine de mètres plus loin : ce qui eut pour effet d’arrêter le troupeau, tout net !
Il s’en suivit un brouhaha grotesque avec un troupeau compressé, étiré, chahuté en tous sens. Le choc fut terrible : le museau des uns rencontrant le popotin des autres ; le popotin des autres faisant disparaître le museau des uns.
Il se raconte même, qu’une agnelle fut propulsée, directement dans les pattes d’une poule rousse, qui admirait la scène tout en tricotant, tranquillement perchée entre les bras de son sauveur.
De cette vue d’ensemble, naquit une image d’Épinal, dont plus d’un cardinal se souvient encore, un sourire au coin des lèvres.[*]
_ Bonjour, je m’appelle Jeanballe. Tout va bien mes chatons ?!
_ Zesssuitun pythonssss !
_ Aucun souci les amis : j’aime tous les oisillons du seigneur ; et je suis heureux que vous alliez bien ! Ce fier teckel à poil long : se nomme Henri, le gardien des troupeaux du Grand Nord. Et la biquette « ramolette », qui discute avec des diablotins : se nomme Lucette.
Et c’est ainsi, que l’équipée sauvage se rencontra : Noirot, Henri, Jeanballe, Lucette, et Tarton !
Mais revenons quelques jours en arrière pour mieux comprendre ce qu’il venait de se passer !
Un soir d’apéro (faut-il le préciser… !), les géants vivant à la ferme des Jeannotbins, leur confièrent : qu’un louveteau avait été photographié, par une caméra de chasseur, fixée sur le tronc d’un hêtre centenaire, au cœur de l’une des forêts protégeant le hameau des envahisseurs venus des contrées belliqueuses, notamment celles gouvernées par le grand Albigeois à heaume noir, serviteur de l’Église depuis le XIIIe siècle, et dont les habitants du pays se méfiaient beaucoup.
Le dimanche de chasse suivant, lors du rassemblement des troupes au son du cor : les Jeannotbins informèrent les Bernardiers de cette étrange découverte.
Chose très très très surprenante, car le clan des loups avait déménagé au creux du creux du creux…de la montagne noire, une bonne cinquantaine d’années auparavant. Ceux-ci étant devenus végétariens depuis quelques générations (plus par conviction écologique, que par goût…faut-il le préciser ?) ; et, ne pouvant plus supporter la vue de ces délicieuses petites boules de coton : la horde avait voté un éloignement forcé. Illico presto !
Bien recluse au centre des monts protecteurs, la nouvellement doucereuse meute d’ermites, appréciait l’éloignement des tentations, qui mettraient en péril leur vertu : se soignant avec de longs bains dans les sources naturellement chaudes et gazeuses du cœur de la montagne ; évaporant ainsi leurs rêves d’alléchantes brochettes de… vous savez quoi !
Le soir même, les Bernardiers colportèrent cette affreuse histoire de loup, aperçu aux abords du hameau. Henri en eut vent ; et vint les consulter. Les Bernardiers lui décrivirent, ce qu’ils avaient vu de leurs propres yeux, et rien d’autre ; c’est-à-dire : un loup sanguinaire, aux yeux rouges, aussi haut, que la cabane de leur enclos.
Henri courut réunir immédiatement en conciliabule Jeanballe et Lucette : ceci afin de les informer du danger. En y mettant quelques réserves, il répéta mot pour mot ce que lui avaient raconté les Bernardiers ; et leur demanda de l’aider à surveiller le troupeau, tout en gardant le secret sur cette information, qui pourrait engendrer un mouvement de panique générale.
Chacun retourna donc vaquer à ses occupations, le cœur et l’esprit alourdis de cette nouvelle.
Mais à peine sortie de ce huis clos, Lucette, paniquée, et ayant oublié toute retenue, fila vider son sac à la première brebis venue.
_ …. ma chère ; mais tu te rends compte ? un loup ! chez nous ! là ! dans la bergerie … oh je n’en peux plus…Béééééé
Une fois cela fait, elle se sentit beaucoup mieux, ainsi que d’une certaine légèreté ; elle s’interrogea cependant, se demandant, si cela était dû : au fait de s’être confié de sa peur du loup, à une oreille attentive ; ouOUOUOUOU, du petit tas de crottin, qu’elle avait discrètement confectionné tout au long de sa confesse.
Quoi qu’il en soit, deux tétées plus tard, les agnels s’effrayaient entre eux avec l’histoire d’un loup monstrueux. Un loup si grand, que son ventre frôlerait le toit de la bergerie du Grand Nord ; avec cinq pattes ; deux têtes ; et dont les yeux rouges de lave pourraient carboniser un broutard d’un simple regard.
Voilà ce qui mit Lucette sous pression, lorsqu’elle aperçut un loup dans l’allée menant aux prés du Nord-Ouest.
_ au loup ! au louOUOUOUOUp !!! (vous connaissez la suite…).
Au vu des nombreux constats, et de tous les détails que chacun préférait taire : la toute jeune compagnie d’assurances « Tarton Python Assure » exigeât une enquête.
L’enquête fut diligentée aux plus fins limiers du pays, c’est dire : les Jeannotbins !
Ils menèrent une instruction implacable, digne, et sans reproche (car ils omirent de rapporter leur conversation avec les Bernardiers ; détail jugé inutile de leur expérience). Minutieux, les Jeannotbins firent le tour des abris, fourrés, bergeries, granges, et tanière : afin d’interroger TOUS les témoins possibles. Cela permit notamment de lever quelques lièvres, et de déloger quelques autres blaireaux qui dormaient dans le lit de quelconques chasseurs partis chasser ;or, comme il se dit dans le comté : « qui part à la chasse… ».
Il fut bientôt découvert par nos fins limiers, puis annoncé sur la place centrale, devant tout le hameau, par le plus loyal représentant des assurances « Tarton Python Assure » : qu’un chevreuil tirait sur une haute branche, dans un soleil rasant, au moment où Lucette aperçut son ombre : et cru se trouver face à face avec le terrifiant loup, dont parlait tout agneau en âge de se dresser sur ses pattes (soit, âgés d’au moins quelques minutes).
Tarton s’éveillant de sa sieste, s’étirant mollement, découvre ses deux amis venus le chercher pour profiter ensemble d’un banquet improvisé, afin de célébrer la relative fraîcheur de cette soirée.
_ Je croisss que j’ai rêvasssé de nossstre renssscontre, les garsss ! Tssissississississi
À l’évocation de l’image d’Épinal de ce jour saint : tous trois éclatent de rire !
Chihihihihihi. Whafafafafafaf. Bhéhéhéhéhéhéh. Tssissississississi. Krikkkrikk Krikkkrik Krikkkrikk.
Kakakakakaka (maisss t’esss qui toisss ?!?)…
[*] Note de l’auteur : le cardinal est un passereau d’Amérique du Nord ; au plumage rouge vif et impérieux ; et dont le caractère est aussi huppé que sa crête le lui permet ; appréciant de passer ses vacances au hameau de Fraïsse.
Fin
Projet de BD « Les Aventures de Noirot »
Chapitre III : « l’équipée sauvage », par S2B.


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