« Chapitre 2 : la légende du vampire de Fraïsse »

Dans les campagnes, les sujets de « discussions » sont nombreux, tout est bon à « discuter » : la vitesse à laquelle roule le camion de l’épicerie ; la vraie recette du boudin des monts de Lacaune ; le secret des fraises de la fermière ; les fourberies de Tarton le python ; le pot de cire d’épilation à moitié vide retrouvé dans le conteneur de recyclage ; la naissance du potager délaissé ; le pré fauché par personne ; la maison abandonnée au milieu du hameau ; et j’en passe !
Mais certaines histoires deviennent des légendes campagnardes à vous faire dresser les poils sur le corps !
Loin des Carpates, la légende du vampire de Fraïsse a vu le jour il y a environ deux années ; soit à peu près six ans, après celle de la licorne de Fraïsse.
Mais bon ! ces deux légendes n’ont pas grand-chose à voir… enfin, il me semble…
On dit qu’un soir, il est apparu un peu partout dans le hameau : devant la bergerie, près de l’église, derrière la bergerie, non loin de la vierge, sur la bergerie, aux pieds de la croix, dans la bergerie, etc.etc.etc. ; et que chacun l’avait aperçu, mais personne en même temps !
La légende courrait jusqu’à ce jour en battant la campagne alentour ; mais depuis : elle galopait !
_ Moi aussi, je l’ai vu, Lulu !… moi aussi. Et je jure que ces dents m’ont terrifié. Bréééééé !
_ Un grand et fier bélier comme toi ? ! C’est vrai que, moi aussi, j’en ai eus froid dans le dos ! Il était si sombre ! si … je ne sais pas… quelque chose !
_ Si « grand » peut-être ?!? En tous cas, moi, je vous crois.
_ Oui, Henri, c’est ça ; si grand et si sombre. Brééééé. J’en frissonne.
_ Sssu calme lesss amisss ! heu.. ; zou passs… aprèsss réflexssion… Zsse sssais qui sss’est csse vampire !
Tous trois se retournent pour faire face à Tarton le python. Et Henri rétorque aussitôt.
_ Depuis quand ? sommes-nous tes amis ? Tu n’arrêtes pas de siffloter à tout vent ; sans compter les agneaux disparus au parc, sous ta garde…
_ Zsse ne vaisss passs me faire tarabissscoter par un csshiot qui zssa peur de ssson ombre quanzss-même ?
_ J’ai 5 ans ! je ne suis plus un chiot, na ! Et puis les ombres : elles peuvent être effrayantes…
_ Ok, ça suffit vous deux ; vous n’arrêtez pas de vous disputer comme chien et chat. Qu’en dirait Noirot ?
_ En parlant de notre beau gardien : le voici ! à croquer comme toujours ! J’en ai la laine toute rosit…
_ Lulu… Un peu de tenue devant Henri et Tarton, s’il te plaît.
_ Moi, zsse file !
_ Salut la compagnie ! Pourquoi le virelangue prend-il la poudre d’escampette ? Est-ce qu’une mouche l’a piqué ?
_ Whafafafafafaf. J’en pleure mon cher Noirot. En fait, Tarton tenait soi-disant à nous confier un secret, mais le voilà qui file dès qu’il te voit arriver. Je crois que la nuit des souris confites lui reste en mémoire. Whafafafafafaf.
_ Henri a raison, mon ami ! ; et avec Lucette, nous échangions sur le vampire de Fraïsse. D’ailleurs, est-ce que tu l’as vu toi aussi cette nuit-là ?
_ À vrai dire : non ! J’étais en poste à la bergerie le soir en question. Probablement qu’à chaque fois, je devais être sur une ronde du côté opposé, à son apparition !? Je ne sais pas. Quoi qu’il en soit, je n’ai rien à signaler sur ce phénomène. Tu disais noir et sombre, Lucette, est-ce bien ça ?
_ Oui, comme…comme…une chauve-souris !
_ La compagnie ! Si c’est bien le cas, il y en aurait vingt-trois espèces dans le parc, alors : nous ne sommes pas prêts à mettre la main sur ce « vampire » ! Sur ce ! Je vous laisse. Je dois filer prendre mon poste de jour.
Pendant que Noirot s’éloigne, Lucette ne peut s’empêcher de commenter sa dernière phrase.
_ Ce minois n’arrête pas : travail de jour, travail de nuit, travail du soir, travail du matin, travail, travail, travail…c’est pour ça : qu’il n’a pas de temps pour moi !
_ Mais Lulu…c’est un chat !…
_ Bhéééééé. Tu ne comprends rien à l’amour, mon cher Jeanballe ; pour toi, tout ce qui compte, c’est d’être celui qui a les plus belles cornes !
_ Je dois avoir des loirs dans les oreilles, parce que je ne comprends rien à vos jérémiades. Pour moi, Noirot est un chat à part : car il ne passe pas sa journée à se dorer la pilule en ronflant, lui ! En plus, son nouveau travail de jour, c’est de s’occuper de princesse Vivie : la divertir, la nourrir, la coiffer, lui lancer la souris, lui gratter le ventre, enfin : subir ses moindres caprices.
_ Tu parles d’un job !? c’est plutôt une corvée ! Hein Lulu ? Qu’est-ce t’en penses ?
_ Moi j’en pense que : de, un, c’est Lucette devant l’équipée et pas Lulu ; et de deux, il me semble que nous sommes une cinquantaine à faire à peu près la même chose pour toi… donc bon ! Les jugements du bélier ouvert d’esprit et pro-féministe, ça reste à revoir…
_ Bon OK, peut-être…mais…
_ Je ne voudrais pas perturber cet échange si intime, mais voilà Tarton qui ramène sa langue.
Tarton s’approche du groupe d’amis, discutant sur les bancs situés derrière l’église, au milieu de la place du hameau, à l’ombre des frênes, protégés par la bienveillance d’un géant crucifié.
_ Me revoilà, Zsseanballe. Zssécoutez-moi tousss lesss troisss : le vampire de Fraïsse possède le corps de Noirot. Zsse suis sssur qu’il est possédé. Zssen mettraisss ma langue à couper !
_ Si seulement…Whafafafafafaf. Excusez-moi, je crois que ma vessie va exploser de rire. Ciao les amis !
De son côté, tout en renvoyant négligemment la souris à la princesse (plic-ploc-mui, plic-ploc-muii, plic-ploc-muiii, plic-ploc-muiiiiii…), Noirot pense à la prochaine fête du hameau : rituellement, tout le monde se déguise, sauf lui. Il n’aime pas se déguiser.
Enfin, normalement ! Parce que, cette fois-ci, il aimerait bien participer comme les autres ; et ne pas se sentir exclu. Ce qui veut dire : s’approcher, ne pas regarder de loin, peut-être même, se mélanger aux danseurs, entrer dans le cortège… Mais pour cela : il faudra se déguiser pour prendre part à la transformation !
Un choix le tiraille. Noirot reste un grand timide, au fond de lui… tout au fond…
Bon ! Ce soir, Noirot est décidé !
Ce soir, il va leur montrer.
Ce soir, il va rassembler tout son courage.
Ce soir, il se lancera.
Ce soir, il va leur demander leur avis !
Alors, Noirot met sa cape de satin noir sur le dessus, et rouge à l’intérieur, blanchit légèrement ses canines, gomine ses poils avec un fond de boîte de cirage trouvée dans la remise, prend une canne ; et sort, d’un pas hésitant, montrer son déguisement à ses amis.
Cependant, sur la place du hameau où tous sont rassemblés pour préparer la prochaine fête, l’ambiance bascule en une fraction de seconde : les poils se hérissent de la queue à la tête, les dents s’entrechoquent, les loirs courent en tous sens, les souris sont déconfites, l’autruche enfouit sa tête « ouf, sauvée ! Je ne le vois pas : donc il ne me voit pas ! la la la » [raisonnement d’autruche ; sans commentaire…].
Noirot observe la scène de loin, sans comprendre ; il ne peut rien voir de là où il se trouve ; mais très rapidement la panique générale a raison de lui : il file se terrer à côté d’Henri. Henri dont les genoux autonomes semblent en pleine répétition d’un spectacle de samba.
_ Bon sang, Henri ! Chutttttt, fais moins de bruit…ce n’est pas le moment …
Henri ne ressemble plus du tout au fier chien de berger, il a tout d’un vieux fantôme d’opérette : le poil raide, la robe blanchie, la mâchoire tombante, les dents déchaussées, la truffe visqueuse, le regard épouvanté.
« Non ! Il ne ressemble vraiment plus à mon Henri. Mais que se passe-t-il ici ? Bon sang ?! ».
Il prend Henri par la truffe, mais sans avoir le temps de lui poser la moindre question : Henri s’évanouit.
Pour lui, des diablotins virevoltent au-dessus de sa tête ; pour Noirot, un sentiment d’impuissance ; et pour les autres villageois, un regard figé sur Noirot.
Henri revient à lui ; ouvre les yeux ; crie ; puis retombe dans les diablotins.
Ce manège se répète treize fois. Hormis que, dès la seconde émergence, Henri n’a plus la force de crier : il gémit.
Noirot est triste pour son ami : alors, à chaque gémissement, il crie à sa place, au rythme de ses réveils.
Ce qui ne semble pas vraiment aider Henri… voire terrifier ses camarades.
Noirot se retourne et demande à l’assemblée :
_ Alors ? il est où ? c’est quoi ? vous l’avez vu ??!
Tout le monde pointe Noirot : de l’ergot, de la patte, du sabot, de l’aile.
Noirot ne comprend pas. Tarton toussote. Lucette comprend.
_ Je crois que nous t’avons tous pris pour le « vampire de Fraïsse», mon chaton ! C’est vrai qu’avec tes canines proéminentes et ta robe impeccablement noire…Et d’ailleurs, pourquoi cette cape ?
_ Et bien, heu… Je voulais vous demander si mon déguisement conviendrait pour la fête de cet été…
_ Zut, moi qui croyais que tu venais m’enlever pour une aventure torride, mon p’tit loup : je suis un peu déçue. Béhéhéhéhéhé.
_ Lulu…
_ Zsse l’avaisss dit que css’était le vampire de Fraïsse !
_ Bhouais, et bien en attendant, il va falloir sortir Henri de cette mauvaise passe. Noirot, peut-être devrais-tu échanger de place avec Lul… Lucette, non ?
Henri ouvre les yeux une treizième fois, et aperçoit ses amis autour de lui : Lucette, puis Jeanballe, Tarton « quoique », Noirot déguisé « bizarre » ; mais pas de vampire « wouffffff… Il est parti ! ».
Lucette raconte à Henri ce qui vient de se passer, tout en prenant soin de survoler rapidement la partie liée aux diablotins…
Le soir suivant, Noirot et Henri assis sur une bûche devant la bergerie, profitent de la fraîcheur relative de la soirée. Noirot a quitté sa ronde pour rejoindre son ami, et partager avec lui un peu de tabac de lapin.
Soudain, Henri balaie du regard : le devant la bergerie ; puis le toit au-dessus de la bergerie ; puis à nouveau le devant la bergerie ; puis Noirot…puis éclate de rire. Whafafafafafaf.
_ Les Bernardiers et les Jeannotbins n’ont pas fini de se moquer de moi. Whafafafafafaf.
Le fou rire gagne Noirot. Chihihihihihi.
Whafafafafafaf. Chihihihihihi.
Fin
Projet de BD « Les Aventures de Noirot »
Chapitre II : le vampire de Fraïsse « , par S2B.


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